Petra
La vie plus forte que la mort.
Petra dit peu. Quelques soupirs ponctuent ses paroles surtout quand on l’invite à parler sur son travail. Des bribes d’un vécu qu’elle ne partage qu’à demi-mot et qui trouble légèrement ses cordes vocales avant de se perdent dans le silence d’un sourire éclairé par ses yeux clairs. Son univers nous met heureusement sur la voie. Le grenier de sa maison en proche banlieue parisienne qui lui sert d’atelier est une caverne nourrie d’objets chinés : des poupons, des objets agricoles en métal grillagé, d’autres en plastiques qu’elle assemble et transforme. Mais également des dessins et des peintures sur toile non encadrés qui, punaisés aux murs, se trouvent aussi suspendus depuis le plafond. Les assemblages de jouets et les peintures en relief occupent l’espace mansardé, aux cotés de mannequins, d’anciennes cages à oiseaux, de masques. Dans cette jungle foisonnante d’objets et de robes de bébé volontairement salies à la cendre, où l’objet ancien devient élément d’œuvres récentes, se cachent une table et un lit couvert d’un imprimé Indien.
On perd ici la notion d’atelier. On évolue plutôt dans une installation touffue de teinte bistre et d’étoffes variées qui composeraient les éléments d’un décor. Une sorte de mise en scène pour une pièce théâtrale qui resterait à écrire et qui pourrait s’intituler l’anti-peinture ? un peu dans l’idée de la troupe de l’Anti-Teater monté par son compatriote le cinéaste Rainer.W. Fassbinder (1945-1981).
D’ailleurs, un peu comme le parcours fulgurant de ce boulimique de travail qu’était Fassbinder (40 films en 13 ans), l’histoire personnelle de Petra se mêle à l’Histoire de la seconde Guerre Mondiale. Et quand on est Allemande, autant dire que l’héritage n’est pas simple.
La peinture s’impose à elle aux débuts des années 1990 « avec rage et explosion » se rappelle-t-elle, et se crée à travers l’expression du corps dans tous ses états. Le mélodrame intime et individuel de l’artiste s’enfonce dans les sentiments les plus passionnels. Petra développe une peinture gestuelle et expressionniste, écorchée et brut. Elle cerne de traits vibrants et aiguisés les contours de corps criants que son entourage ne comprend pas toujours. Il se déroule à huis clos entre le grenier et la cuisine de l’artiste un dialogue d’amour qui n’appelle ni la fascination ni la répulsion.
Le travail de Petra se laisse apprivoiser dans la complexité de la vie, comme cette série de Et Maintenant (2008) où elle ajoute des robes en tissus durcis sur ses peintures pour procurer un volume vide aux corps décharnés qu’elle représente. Il lui fallait à ce moment-là, évoquer les camps de concentrations, les vestiges laissés par les enfants disparus : leurs jouets, leurs effets personnels... Les objets chinés dans les vides greniers de campagne de France accompagnent pour la première fois les peintures par des installations au sol qui évoquent le désastre et la mort. Pétra n’aurait pas eu à jouer une héroïne des films de Fassbinder, elle est comme ces femmes aLola, Maria Braun ou Veronika Voss, un être authentique, rebelle et social qui puise dans l’esthétique expressionniste pour mieux provoquer et piquer au vif le destin, au creux duquel elle essaie de se débarrasser de vieux démons pour célébrer la vie et l’art.
Laurence d’Ist
Janvier 2014Petra